LA RESISTANCE INACHEVEE
Hélène Larrivé
Préface
Ces trente et un poèmes ont été écrits à partir de lettres retrouvées à la mort de ma mère, sur ses indications, de l’homme qui l’aima, mourut sous la torture entre le premier et le neuf Juin 44 au Fort Vauban d’Alès, dans le Gard et fut précipité ensuite dans un puits de mine désaffecté à Célas, à quelques kilomètres d’Alès,comme vingt-neuf (?) autres résistants par la suite. Il s’appelait Gustave Nouvel.
Cette recherche fut telle une pelote qui se dévide. Des rencontres exceptionnelles avec des résistants qui sont ici relatées sous forme poétique (comme les « Lettres à Lydie » parues il y a quatre ans l’esquissaient sous forme prosaïque) l’élargirent infiniment : lorsqu’on cherche, on trouve souvent… autre chose que ce qui était l’objet initial, souvent plus essentiel. La première partie de ce recueil (après le préambule adressé à ceux qui prônent l’oubli comme condition du bonheur) n’est que la transposition des écrits de Gustau. C’est donc Lydie, à travers celles-ci, qui est à la source de ma démarche -par la suite amplement infléchie-. En le lisant, un puzzle s’est emboîté: la deuxième partie est tirée de souvenirs anciens ressurgis à cette lecture
qui s’adaptent parfaitement. La troisième section est issue de rencontres de résistant/es -toujours en activité !- effectuées au cours de cette plongée dans le temps, qui l’ont bouleversée à chaque fois. Et la dernière partie a pour objet le présent, conséquence du passé rendu
vivant - expliqué et en partie, réparé – par la littérature, c'est-à-dire au départ, Gustau.
J’ai effectué ce travail à la demande du compositeur Thierry Morati en vue d’une adaptation musicale, avec l’aide et les encouragements réguliers de Nicole et Michel Jeury que je remercie ici, ainsi que Jeanne de Chantal… [et les critiques acides du poète Gérard Amate] donc entre
indulgence et sévérité -toutes deux extrêmes-. La poésie permet de dire plus, de franchir l’étape nécessaire de l’universel, sans effort, à partir du
particulier laborieux que représente la prose. Je remercie surtout les êtres exceptionnels qu’il m’a été donné de rencontrer et qui sont la racine et l’apyre de ce travail exaltant : Jeanne Boyer, Lisette Jannot, Josette Roucaute, Yvette Simon, André Bruguerolle, Jean Castan, Pierre-Albert Clément, Wilfried Nouvel, Magnan, Max Pascal, André Péchin, et le «guérilléro inconnu» - qui m’a été inspiré par Ange Alvarès- ainsi que tous ceux que je n’ai pas encore pu voir ou trop peu. Pour la suite… Hélène Larrivé
La résistance inachevée
31 poèmes d’histoire et d’amour au présent composé
… « Enfants nouveaux morts, sans avenir, sans passé… Les poètes un jour reviendront sur la terre… »
(Jean Noir)
Un homme, qui mourut sous la torture en 44, aima une femme et en l’attendant, lui écrivit… Sans jamais l’oublier, elle se maria ensuite et trois ans après, eut un enfant à qui personne ne parla de cette histoire jusqu’à ce qu’en 1999, à la mort de sa mère, elle trouve ses lettres. Cet enfant, c’est moi.
Préambule
A Gustau
Merci d’avoir aimé ma mère,
Autant que je l’ai aimée
Quoique d’une autre manière
Moi en vain. Et toi ? Qui sait ?
Gustau, mon frère,
Merci de t’être tu,
Merci d’avoir vécu,
…De l’avoir attendu,
De tant d’amour…
Comme je l’attendais
Comme je l’attends toujours…
Mais cette fois elle ne viendra plus.
La caméra
Mais pourquoi a-t-elle bougé ?
Toute seule, a-t-il semblé ?
Seule, c’est sûr ou je m’emporte ?
Non : c’est bien moi qui ai retrouvé…
Au Fort, sur la porte,
Son nom gravé.
Un mouvement involontaire…
Ode rageuse à un jeune poète ironique, un amour du passé
S’occuper des morts est futile dis-tu,
Voire imbécile… ?
Mais mon chéri, s’occuper des morts,
Comme tu dis, des morts sans corps,
Des morts disparus –totalement-
C’est s’occuper des vivants aussi,
D’un même mouvement…
De toi identiquement.
Car nous vivons d’eux, solidaires
Et enfouis,
Même toi, bâtard d’un prince et d’une
lavandière
Tutoyant la moulière des anges
Poussière de pur esprit…
-J’ose- : c’est fatal, tu manges,
Etudies, et, comme Clélia, ô Stendhal,
chies…
Comme ton aïeul Bertrand de Moulières,
(Putain que ça sonne) …
Et comme moi, te nourris
De ceux qui n’ont plus personne
Pour dire et écrire, en lettres d’or
S’il faut, leur shoah : ils sont en nous,
nécessaire
Et inaltérable décor,
Et ils auraient bien voulu,
Comme toi, vivre et vivre encore…
[Ceci est, bien sûr, une menace de mort !]
Pour les drones perdus que nous
sommes :
Leurs enfants…
Palindromes ! unique objet de mon
ressentiment…
Si tu fais une rime badine
Sur Gustau… je te ratatine.
… Noble Seigneur, roter dans la soupière
en mangeant
Main sur le giron -pansu ?- …
ô Madelon…
[C’est toi qui l’as dit, moi je n’ai toujours
rien vu…
Et te trouve toujours consommable]
Est ignoble, peu aimable…
Et pas glamour pour deux ronds.
A bon entendeur…
Le passé (40/44)
Attente
La joie et le bonheur, petite Lydie
En ces honteux moments de haine et de rage
Le sont aussi : vie tenace que rien ne décourage,
Vie sublime, vie chérie et honnie
A la fois. La joie et le bonheur…
Et, la mort peut-être, le danger sûrement,
Je le sais et tant j’ai peur…
Et tant je suis heureux pourtant.
Tant je suis heureux quand même,
Et tant je t’aime
Tant je vibre de cette violente amour,
De cette lame noire
Qui m’envahit et me noie,
Et dans un instant, dans un mois ou un jour…
Peut-être nous tuera.
Peut-être nous tuera.
Mais qu’il est lent cet instant
La libération ! toujours !
Mais qu’il est long, splendide et fulgurant
Cet instant qui enivre et blesse…
Et je l’attends et je t’attends.
Mon front à la fenêtre appuyé,
Si grande parfois est ma tristesse,
Si immense ma joie aussi,
Que je ne sais plus, petite Lydie,
Lequel de nous deux est absent.
Attente, encore
Je t’ai espérée une demi heure,
Ce n’est rien, ma jolie,
Mais en ces temps qui se meurent
Et demeurent pourtant,
Et qui bientôt seront enfui…
Ces temps de la peur, de la peine
De la démesure et de la haine,
De la joie extrême, aussi… c’est l’infini
Et me torture en vain. Où est-elle ?
Sur le chemin encore, sur la route déjà ?
Sur la route qui va, ô ma belle,
Dans un virage… et puis s’en va…
Vert de gris d’accrochage,
Imprévu impatient : du néant annoncé,
Ajourné, toujours tapi, le hideux visage
Qui nous guette à jamais…
Et tu es là, ma fiancée : fausse innocente,
Gemme vibrant. Et le joyau, la chair de ton
sourire,
Incisives -à peine- avancées… de plaisir me
déchire…
Et comme moi soupire la morose vallée, et
s’enchante
Et s’anime. Le temps s’est arrêté…
Je sais, tu n’aimes pas le mot,
Mais quel autre faut-il ?
Les mots sont futiles,
Ma jolie, -et un amoureux, toujours sot-…
Pour contenir, pour te dire,
–Presque-, si je peux, le sursaut,
De mon être aux abois, qui respire
Se serre et s’arrête et s’accroît…
Cette force qui grise, souveraine -et souterraine-,
Qui n’est ni mienne ni tienne peut-être, ni remise
Ni emprise,
Et les deux à la fois…
Attente, toujours
Ce matin, le ciel luit, après l’orage
Et le merle -moqueur ?- T’annonce, tout à l’heure…
L’oeil sur l’horloge, de tendresse et de rage :
- Après l’aiguille alanguie, à la fois pique et coeur-
L’aiguille immobile qui me fixe ironiquement,
Les cahiers gisants sur la table, je t’attends.
Les fractions m’indiffèrent.
Seules m’importent celles de l’instant qui me sépare
… Et se resserre imperceptiblement,
Et m’emporte encore, du son le plus beau de la terre,
-O temps maudit et béni de ton retard
Coutumier, adition de secondes et de
minutes volées…
Qui me hante, m’éprouve, m’épouvante et me réjouit- :
Le grelot, comme ta voix, enroué,
De ton vélo pourpre en bas sous les platanes…
Communiste
La faucille le marteau, ton étrave, ma belle …
Communiste éclairée -mais rieuse aussi-
A toute ordonnance, à toute entrave rebelle,
A tout protocole, toute sorcellerie…
Toujours…
Je sais : en ces moments sans répit,
N’est pas encore venu le temps de l’amour
De la vie simple et tranquille, des longs jours
D’été qui filent, doux et futiles, utiles et gourds
Mais justement : ces temps heureux, ma jolie,
Albe sur noir découpés,
Ces temps peut-être illusoires et proscrits
Fusains amènes au vent d’été envolés
C’est le temps d’aujourd’hui, de cette nuit même,
Le temps où je t’attends.
Dormir
Je t’aime et n’ai pas le droit
Je t’aime et j’ai peur de moi.
Ces instants perdus de la guerre
Ces lettres, à chaque fois brûlées…
— Ou sous terre ! —
Comme elles,
Reviendront-ils jamais,
Mon amour,
Nous bercer de leurs ailes ?
Et nous endormir enlacés ?
Pour toujours ?
Une fiancée en noir, rompue à jamais.
Joie unique et déchirante qui m’emporte.
T’aimer peut-être serait de te chasser,
Et, ivre de toi, fermer tout de même ma porte.
Au lieu de cela je t’attends et encore t’attends
Mourir de quelques heures. Ton rire…
De mon impatience, de ma tristesse aussi.
Un instant de plus, un instant encore
Petite, tu panses ma peine
Et l’accrois quand tu t’en vas,
Et j’ai si peu le temps que je t’implore…
Seulement que je t’aime
Et n’en ai pas le droit.
Irène
Et tu as dit oui ! Oui enfin !
Pour me bercer peut-être ?
M’endormir sûrement ?
A moi, à l’enfant à naître,
Sans répit, insistant…
Oui à la vie, oui enfin…
A la fin de la guerre,
A la fin de Mars en effet…
Mais ma jolie, ma damnée de la terre
Il faudra bien nous marier ?
Même ailleurs, disparus, ciel et père,
Vivent éternellement, enserrés,
Au coeur flamboyant et glacé
De cet apyre futile
Qu’on ne pourra t’ôter.
Et ça me plaît, je dois dire, que ce fil
De papier infini et insane, qui à jamais lie…
Encore et jusqu’au bout, officiel, paraphé …
Plus fort que la mort, plus subtil que la vie
Mon amour, mon amie,
Les lilas renaissent et épouse moi.
Pays de mine
Et fais ce que vouldras, petite Lydie
Car je dis oui aussi…
Oui au pays de mine, oui à Molières
Ma hussarde jolie,
Noire et tendre comme le fer
De la lance jetée… Et même l’enfer.
Si tu veux y brûler, y défier, y réduire
Le goût de l’immuable misère
Avec toi j’irai,
Avec toi j’irai panser, lire et dire,
Sans barguigner
Les larmes des damnés…
Allons, c’est décidé,
C’est donc là, sous un ciel lumineux
Comme on glose … (chez tes lettrés),
« Qu’enfin nous coulerons enlacés
Au milieu d’enfants roses… des jours
enchantés… »
C’est donc là que la dune, le sable et la plage
— En fait, ma petite, l’inaltérable crassier ! —
En ce pays amer, lugubre et glorieux,
Arracheront au vent de la mer, en creux,
Ton image
Inversée…
L’enfant de Mars ou d’Avril. Germinal
L’Irène du miel et des lettres
Ou des Barrières peut-être ?
Oui ma jolie : dans les temps, magistral,
Voici enfin venu le printemps des cerises :
La victoire, demain, aux yeux incandescents
Inexorable, bloc compact de terre grise
Et de feu et de cris et de sang.
Quelque part sur une plage, sur une anse,
Un mur de fer au loin, se mouvant en silence,
Attend.
Débarquement
Au loin, un mur de fer, se mouvant en silence,
Déchirure à l’horizon esquissée,
En ordonnance, inexorable… s’avance ;
Ciel et terre, inextricable mêlée
Une ligne hachée : illusion ou fracture ?…
Des cercles qui peu à peu s’épurent.
Et doucement s’assombrissent.
Et se dessinent… Et glissent et s’unissent…
Et dans l’aube qui point, gracile, légère…
Se laissant pénétrer, les vagues d’Eschyle,
Le sourire innombrable de la mer,
L’accueillent, filent, coulent et défilent
Et se fendent et s’élancent et l’engloutissent de
brume…
La victoire, comme Aphrodite, de la mer éprouvée
Demain, maintenant, tout à l’heure écrite, de
l’écume
De la faucille et de l’océan, ô ma fiancée,
Avec Irène naîtra. Et je te marierai.
Voile noire
Arrestations. Soir sans fin dans le soleil d’été
Naissant. La voile noire est hissée. Il ne faut pas
penser
-Pas encore ou à peine-
A ce qui, en ce moment même
Au Fort… Non, cela n’existe pas. Pas encore.
Et fuir : qui peut être sûr, sûr et certain
Dans son être et dans son corps,
Dans son corps surtout, et des autres et de soi
même ?
Espérance atroce. Et peut-être vaine…
La vie est là, sublime, abjecte, animale,
Qui ancre, persiste et tout abolit : résistance
Et même honneur. Vie mortifère, serre fatale :
Respirer, respirer encore une fois, pour
toujours…
Machine humaine qui dure, perdure et ne meurt,
Et veut durer encore, étouffée, pour… Pour…
Souffrir et durer encore, et périr de douleur…
Mai 44
Et si un jour
Et si le temps venait que je parte,
Ma belle, ma fiancée, mon amour
Et si le temps venait que je parte,
Te laissant seule sur le chemin,
Sans au revoir et pour toujours,
Il te faudrait tout de même,
Sans m’oublier, oublier ta peine
Le chagrin qui emmure et enivre
Le mien et le tien,
Et, mon amour, vivre, vivre, vivre,
Totalement…
Et de temps en temps
Peut-être, le soir, sous le tilleul
En tête à tête,
Me lire.
Seule …
Dans le silence de la nuit.
Le puzzle emboîté (Irène, à partir de 51…)
La pierre
Un souvenir enfoui, tout au loin
Une montée, et le soleil de juillet
La pierre. Et plus rien…
« Je voudrais aller… »
« Tu viens de dire
Quelque chose qu’on ne dit jamais
De méchant, de pire,
D’impardonnable,
Plus jamais nous n’irons, plus jamais… »
Mais où ? Sur ce lieu enchanté
Où il semblait errer
Doux et immuable,
Quelque chose de pire…
Que l’on ne dit jamais
Eternel et impalpable.
Peut-être
Et si longtemps après, si longtemps,
Les lettres… les mots violés et offerts
Et c’est là ! Là, exactement.
O étrange mémoire, fuyante et par éclairs…
Fulgurante et gluante: retrouvailles, mailles d’hier,
Rattrapées, retissées, fil d’aurore…
Qu’est-ce qui gît là dans ce clair cimetière ?
Une tombe, soit. Mais encore ? Mais encore ?
Le lieu où nous allions toutes deux en ces soirs…
Enchantés ! Le lieu de l’ombre et de la lumière
Le lieu des ténèbres et des sorts
Le lieu magique des fleurs de verre…
Où je la consolais en lui serrant la main…
O temps heureux pourtant de demain
O temps de ma mémoire…
Où je me suis rappelée qui nous allions voir…
Puis plus rien…
Une teinture fatale ou blessures collatérales (1954)
(Irène, 16 ans : air de Tosca : Vissi d’arte,
dans la salle de bain. Lydie.)
Et devant le miroir, rousse soudain, et joyeuse
En ce doux soir d’été
Vissi d’arte… Le soleil, la glycine rieuse
Le vieux tilleul enchanté…
Et une porte claquée.
Derrière, le commandeur souverain,
Statue de feu au masque de haine
Dressée, ange à l’épée enfreint,
Halluciné « Madeleine ! »
Sabre au clair,
Le chant s’est arrêté…
Silence de pierre.
Rage froide, enivrée.
Fulgurant éclair,
Qui à tout jamais l’abolit
Et dans ses yeux la fureur et le bruit.
Silence. Temps suspendu dans l’étreinte
Silence. Temps suspendu dans l’espace
Putain d’enfance. Putain d’empreinte…
Face à face, glace à glace…
Fin de l’acte. Une porte claquée…
Une autre, doucement entre baillée
Sanctuaire. Le tournoi recommence
Après la mi temps obligée :
Colère encore, et quelques lances
Légères… Et enfin le désespoir atone,
Etouffé. « Pardonne moi, pardonne ma folie »…
Fin de l’acte - litanie des démones
Berceuse du soir, chant noir de la mélancolie.
Aujourd’hui, elle ne s’est pas tuée et la vigne rosit
Et l’aurore aux doigts de fée fredonne
O Magali… Nuit exquise, nuit blanche,
Nuit d’amour, sous la lune qui luit …
Demain n’existe pas. Hier n’a jamais existé :
clenche
Abattue sur son rivet, barre inscrite dans la gorge.
Le songe abominable d’une si sombre nuit…
Il faut tailler l’hibiscus et reformer les branches
Et la source claire qui engorge
Le bassin étincelant sur la douce clairière
O Magali, le chant sifflant des sorcières,
De rage enfin s’est tu,
Demain n’existe pas encore… et hier… Hier ?
Hier, un orage : il a plu…
Ca a fait du bien à la terre.
Le rival (2003)
(Jean, 82 ans. Saint-Jean de Valériscles,
peu après la mort de Lydie.)
Un vieux monsieur à la terrasse, digne, retenu,
Au café, sur la place… veuf de trois ans (un soir
d’histoire…
Inattendu)... Dom Juan et Werther à la fois,
En deuil sobre, bien maintenu.
Chemise bleu de fer et veste de soie moire…
Et soudain, dans la noire lumière
De la vallée dormante, comme Lydie disparue,
Un mineur qui s’avance.
Gravement… Moqueur ou tutélaire ?
Les heures d’importance,
Toujours, arrivent sans en avoir l’air.
Joie et peine…
Tragique et futile de concert mêlés.
Sans mots inutiles : «Voulez-vous voir le portrait ?
A l’école ? » …. Silence… gêne…
Il attend.
Et ô stupeur, les yeux de Dom Juan s’éclairent :
«Oui !» Poseur ? Sincère ? Poseur sincère,
Sûrement…
«Venez.» Religieusement, dans son poing serré,
La clef du royaume. Enorme, mythique,
Herse de pont-levis, une clef d’avant guerre.
Sans se retourner, l’Ange traverse la route lasse,
Déserte-… Dom Juan, anachronique,
Hésitant sur ses traces
Un palier étayé, une grille de fer,
Exténués et austères, sur des murs lépreux.
Un sanctuaire pourtant…
Une salle de classe…
Et soudain face à face, deux amoureux…
Le vieux Werther se hissant,
Tendu, lunettes ajustées,
Et le jeune mort de papier,
Sombre, encadré d’or :
Son image traits pour traits.
Silence. Il se hausse encore…
C’est éphémère et c’est pour toujours
C’est pour toujours et c’est éphémère.
Temps suspendu, impalpable et sommaire, gourd
Et évanescent, qui s’enroule et se resserre…
Et il lit, lit et relit
Souffle court, arc bouté sur ses paumes au
bureau magistral,
L’exergue mortuaire.
Source claire et létale, de son rival
Silencieux, à jamais invaincu, qui le fixe, en
place…
Commensal usurpé… Un ange passe.
En cet instant d’histoire, mystique
Et solennel, -trois minutes à peine, et de
cinquante ans
Retardé-… mais d’histoire humaine, tragique,
Et vraie, s’est dit, en silence, sur les murs
décrépit
Et hautains à la fois, l’épilogue… à Lydie
Annoncé :
«Et si le temps venait
Que je parte, ma belle, ma fiancée
Il te faudrait tout de même…
Sans cesser de m’aimer pour autant,
Sans remords et sans haine…
Vivre, pourtant…»
Pèlerinage involontaire : le jeune mort et le vieux
vivant.
Parade duelle, sans armes, sans sonnerie. Epure.
C’est fini. Il s’essuie -discrètement-… se rétablit…
Dehors, le ciel irradie, apaisant et dur.
Dehors, le ciel irradie, apaisant et dur.
… Et pour vaincre l’émotion, honteuse et étale,
La larme de pluie perlant au bord de ses cils
pâles,
Son sublime réponds au silence des murs :
« En somme, c’est un héros local… ! »
Recherche de Gustau et rencontres
Josette
Des yeux en amande, très clairs
Dans un visage slave, souriant et amène
Et, sur la rétine imprimée, lointaine,
Et si proche, l’hiver de la plaine: l’hiver d’hier
Ravensbrück, une si longue nuit,
Ravensbrück, un fond de décor
Quotidien et pérenne, à jamais inscrit
Et qui dure, perdure et torture encore…
Ravensbrück : les appels, le froid, les pendues et
les cris…
Sommaire jeunesse. Vingt ans à peine achevés
Et lentement, s’écroulent les jours, les années,
Douloureux, inexorables
Sous l’espoir insensé
Et le désespoir raisonnable
Qui étrille et étreint et affouille, implacable :
La mort fauve qui rôde et érode
Et sur ordre, sans fin ni répit,
Chanfreine et engloutit …
Versatile, patiente, impitoyable,
De haine indifférente et sereine
Imminente, impavide et lointaine,
Vie après vie…
Et cherche et désigne et fond et s’abat
Et dévore, ça et là,
Au hasard picorant, comme par jeu, délicat,
Des proies et des proies encore…
Insatiable Minotaure…
Ce soir je vis toujours, pourquoi ?
Sur ma tête, l’épée n’est pas tombée
Et enfin dorment les reîtres, rassasiés…
Mais demain peut-être,
Dans quelques jours dans quelques mois,
Légère, sur le lac impassible…
En cendres anéantie, moi aussi je voguerai…
Faim, engelures, terre blanche de givre,
A la pioche arasée. Trois années ivres
Harassées, qui durent et perdurent…
Et pourtant disparurent,
Sacrifiées et invaincues
Qu’il faut crier.
Dette sacrée et nécessaire.
Car la bête abattue,
Dort… ou plutôt, du fond de sa tanière,
Veille… Et de l’indifférence, du silence volontaire
Ou de l’ignorance inculquée,
Partout s’éveille… et se rendort
Et veille encore…
Prête à crocher…
Jeanne
Une maison souriante, en retrait,
-Les maisons ressemblent aux gens-
Entre autoroute et voie ferrée,
Un cèdre majestueux -un cèdre du passé-
Un gros chien blasé qui, lentement,
Se lève, aboie… et se rendort aussitôt.
Et une très vieille dame, dans son lit,
redressée….
Une héroïne, en somme, puisqu’il faut bien un
mot…
Sot et sommaire il est vrai, pour dire – et réduire-
…
Un passé de guerrière, sans orchestre ni
appeau…
Et un présent de même…
Une femme frêle, à demi allongée…
… Qui a sauvé… ? Elle ne sait plus elle-même :
(«Je perds la mémoire, c’est agaçant »)
… Cent ? Deux cents ?
-Il faut compter pourtant, même si elle s’y refuse-
Proscrits. Une jeunesse folle, si l’on peut dire…
… Oui, il faut un mot pour écrire…
Les nuits… Les nuits où rode…
L’éternité : sens qui crépitent, heures qui s’étirent,
corrodent,
Allument et consument…
Les durs matins en vélo, les fausses cartes, les
armes, les ruses…
Infinies…
Et…
Et la mort. La mort de camarades, la torture -et le
puits-…
Et la peur… La peur toujours diffuse,
Raisonnée, lancinante. Mais aussi, la peur qui
égare et qui perd.
Etrave et entrave, de concert.
Trop est erreur ; trop peu, faute. Fatales à coup
sûr
Toutes deux. Prix de la commune survie, juste
mesure.
Létale balance…
Quatre ans : parmi les récifs, égale -et in
extremis,
- Un coup de pédale plus vigoureux, la chance,
aussi -
Elle s’est glissée indemne. Mais d’autres,
d’infinies souffrances,
A ses côtés tombèrent. -La torture, parfois, tue
petit à petit.-
Et elle est là, cinquante ans passés,
Souriant dans son lit redressé
Cinquante ans !
Dans l’angle de la fenêtre. Yeux malicieux,
Scrutateurs peut-être… marbre gris effilé, grave
et joyeux.
Bienveillants, amicaux. Et impénétrables pourtant.
C’est, au fond de la mire toujours inaltérée,
Immobile et mobile, un radar - amusé- à sa cible
-infaillible, sûrement-
Gustau, Henri, Lisa, ceux du puits
Et tant d’autres… qui parcourent, sondent, et
sourient
Paisiblement
A l’effigie et à travers au modèle -évanoui-,
Scanner en action, « on »,
Somme infinie et grêle d’un temps nécessaire et
inassouvi
Retard aboli d’envols arrêtés… Somme
Econome d’un présent passé arraché palpitant
Epars
En elle ressemblé… Ainsi devaient-ils jauger les
hommes,
Autrefois et d’un seul regard
A tout instant, lorsque la torture, la camarde
Le scorpion sous la lauze embusqué exigeait,
sans erreur, de détecter
A la seconde même, le dard sous le nard,
Le rai du fard…
L’espion du camarade.
………………………
Une cour joyeuse l’entoure de déférente amitié…
Croyant dire ce qu’il faut
Une pratique l’appelle «grand-mère» …
Grand-mère ! C’est trop…
Ou c’est trop peu. Grand-mère !
[J’ai laissé passer « Jeanne », sans y penser
… Et elle a dit « je préfère ».]
Et cinquante ans après,
Discrète, humble et fière,
Présence intense et retirée,
Dans sa maison - asile…
Son repaire,
Isolé !
-Celui de son enfance-
Ciel toujours ouvert
Et sans répit,
Aux banni/es en exil …
-Pas les mêmes… Et les mêmes aussi -
Elle règne toujours, guerrière immobile,
Sereine.
Le temps qui file,
D’immuables peines éternel retour
Est toujours celui du combat.*
Lisette
Une petite femme bien mise,
Frêle, immaculée, dans une maison ordonnée,
Jolie et polie comme elle. Plantes soignées,
Terrasse claire… piano…
Et qui chante à l’église,
Aussi, il le faut…
Et comme toujours, la stance du silence…
« Je n’ai pas fait grand-chose ou si peu,
J’étais si jeune… sans réelle importance :
Un courrier seulement… -Pas de feu-… »
Et démonter des mitraillettes, en attendant
Les réponses bien sûr ; dans le maquis
Il faut bien s’occuper. Forcément.
Et puis…
Les boîtes à lettres…
Tirer les tracts à l’usine à cinq heures…
Avant l’embauche… Là, j’ai eu peur
-Seulement une fois, deux peut-être-.
On ne se méfiait pas de moi, j’étais discrète
Prudente surtout…
Je n’ai rien d’une casse cou…
Et puis et puis… Lisette !
Tout de même ?
La torture et la mort ?
Oh, on n’y pensait pas alors,
Ou à peine…
Et j’étais leur mascotte : ils veillaient…
[Ainsi devaient être celles qui tombèrent.
Lisa, Hedwig… lances légères, précipitées]…
Et cinquante ans après, sentinelle embusquée,
Fragile et tenace, elle veille toujours :
Elle n’est pas sans armes… Et elle sait tirer.
Yvette
Elle aussi est celle qui se tait.
De peur peut-être
De… ? de paraître !
« C’est fini, c’est le passé.
Espérons qu’il revienne jamais. »
Une vaste ferme sans homme
A demeure. Une belle jeune femme brune aux
yeux bleus :
Et le labeur, réglé : maraîchage, épandage, tous
les jours, sous le feu
De Satan… Puis le soir, l’irriguage, quand du ciel
de plomb
Tombe, à peine, la canicule. Et, à l’aurore,
Les réveils courbatue, la traite, l’arribage…
Jusqu’au soir. Vivre, survivre, tenir… et encore ?
Et encore… résister !
Elle a caché juifs et proscrits, sans hésiter.
« C’était commode, on est assez isolés » :
[Les fenils, les hangars, un dédale encombré…]
« Qui serait allé les chercher là dedans ?
Puis on voit de loin, au flanc,
De la montagne… Et on peut fuir...
Oh, ils étaient bien obligeants,
Et surtout pas difficiles : ils aidaient. »
Un fourreur parisien, malade et âgé ?…
« C’était… comme il pouvait… -rire
Tout de même !-
Je n’avais pas de peine,
Ils mangeaient… Ma foi, ce qu’il y avait…
Patates et rutabagas, mais quoi, c’était la
guerre… »
Une vache au maquis, le village traversé, la nuit ?
Fernandel avant l’heure ?… Elle sourit.
« Il fallait bien, c’était nécessaire :
Ils avaient si faim eux aussi… »
Sans parti, sans religion,
Et peut-être même sans foi,
-Juste une femme d’exception- :
Lorsqu’on lui demande pourquoi,
D’un air surpris, elle répond :
«… Parce qu’ils étaient poursuivis
Quelle question ! »
[Elle n’a aucune décoration. Un oubli ? Non.
«Qu’on me laisse tranquille, avec ces histoires».]
Jean
D’abord il est beau et il le sait, ma foi,
Toujours. Raide, un peu altier,
Acerbe et bon à la fois
Une pose ? Des rhumatismes ? Qui sait ?
Militaire en un mot. Et surtout résistant :
Pléonasme ou difficulté ?
Pléonasme autrefois… A présent…
A présent les temps ont changé.
Et parle en termes techniques, sages,
Clairs et concis : mathématiques. En militaire :
Engagement, stratégie, erreurs à ne pas faire,
Longueur de tir, parabole… métrage…
Erreurs coûteuse d’hommes
Bravoures sans objet, hâtives, en somme,
Florilège sacrificiel et sacrilège.
Et lit et rectifie : être fusillé ou mort au combat,
Irène, c’est tout autre. Le combattant ne sait pas.
Le condamné, si. Et il imagine : -à l’infini,
A tout instant, étranglé, en transe. Il attend.
Attend et entend sans cesse. Et tressaillit,
Et vibre : à chaque pas, chaque cliquetis…-
La maladresse qui, dans le sable rougi,
Lentement, si lentement, blesse sans tuer,
Et, de négligente horreur, laisse inachevé,
A l’agonie, un corps qui palpite encore…
Et soudain dans ses yeux -hautains ?
Un peu-, la morgue a disparu…
Et badine et s’amuse, aussi… ou le feint.
(Car ces histoires sont effroyables)…
La vie, la vie tout simplement, continue.
Il rit. Consommable ?
Le sang des pierres
ou l’homme qui se tait
… Il est celui qui passe et jamais ne dit rien…
Son corps parle pour lui ? Non. - Ou à peine.-
Et parle pourtant, mais de choses mondaines :
Littérature, études… Un classique, il est vrai.
Que, tout de même, il pousse au point…
D’en rire : c’est au hasard qu’on perçoit, de côté
…
Quelque chose, peut-être ?… Ou peut-être rien
Et après coup qu’on apprend, qu’à vingt ans,
Avec trois camarades, il sauva de miliciens
Ivres de vengeance, une mairie libérée
Dans l’urgence, spontanément.
Cela prit peu de temps et n’eut rien d’une
séquence.
Il n’y avait pas de musique : ils ouvrirent le feu.
La riposte, immédiate : trois secondes déchirant
le silence
D’un pont de voie ferrée endormi. Un combat
victorieux,
Sans même le temps d’avoir eu peur…
Un combat qui, au cinéma,
Eût été peu vendeur.
Lorsque tout fut fini, [c’est à dire les tueurs,
Sur le rouge bitume, grenats allongés,]
La pierre du pilier elle aussi saignait :
C’est alors qu’il le vit : il n’avait plus de bras.
Wilfried, la baraka
Une maison de mineurs, au fond de la vallée
Une maison d’autrefois, pauvre et belle, nichée,
Sous la colline pierreuse, du feu
De l’été protégée. Un vieil homme aux yeux
bleus.
Costaud, vif et riant, un instant passé,
Et son amie espagnole, un peu étonnée…
Lui parle : de la faim surtout, et ensuite des
maquis,
Il était si jeune, pensez… et de grand appétit !
Quand on travaille, n’est-ce pas, il faut dire…
Et semble encore avoir faim d’y penser
… Et l’oeil en coin, écoute, surveille… le frichti
Qui, sur l’antique fourneau à cuire
En rythme, doucement.
Clapote à son récit…
Dix sept ans, la faim, les engagements…
Et, sur un petit chemin -chargé- ! l’horreur : deux
képis.
Insultes, coups, cris -simple avant goût… de la
suite, au Fort-…
Deux gendarmes en tout : un seulement à midi.
Le sort !
- Et une heure après, le transfert, la torture et la
mort - :
« Frappe-moi ! Il me faut des marques, et pas
feintes…
Vite. L’autre va revenir. »
C’était le bon qui était d’astreinte.
La baraka.
Au guérillero inconnu
Il y a ceux que l’on pleure, qui ont des noms de
rues…
Et ceux -des étrangers, souvent-
Qu’on a oublié,
Ombres frêles, pathétiques et nues,
Innombrables et éperdues, de gréants
Sacrifiés
Sur des stèles solitaires, anonymes et laconiques.
Pas de noms sur des murs, pas de tombes
altières,
Qui demeurent et surplombent.
…Des cénotaphes cachés, parmi le thym ou la
bruyère,
Illisibles, sommaires, à demi étouffés…
Mais même la pierre martelée, sous les doigts
effleurée,
Et aveugles, parfois laisse à peine deviner,
peindre,
Saluer et étreindre,
En creux, les lettres des hommes, des amoureux,
Disparus, mystérieux.
Mort au combat, mort fusillé
Dans les parages peut-être. Gloire fatale et
pesanteur,
Révérence abstraite et distale d’un rivage qui
n’était pas le leur…
… Et des enfants qui, cinquante ans après,
Parfois, cherchent et cherchent encore, qui un
père, qui un aïeul…
Zurita, Mandran…
«Il a fui l’Espagne et s’est engagé…
Il avait vingt ans…
Mon père est né juste après… »
Ode éternelle, ode de sang… Ode inconnues :
«Communiste, anarchiste ou rebelle,
inorganisé…»
[Comme on dit !]… de Guernica au Perthus,
De la retraite aux maquis : envol inachevé d’un
amour attendu…
Endurance inouïe de sagas ordinaires :
« Evadé des camps de la mer,
-Où, sur la plage d’hiver oubliés, réfugiés,
Orphelins, solitaires,
De faim, de froid, d’indifférence, en silence
s’éteignaient-
Sans rancune, il pris les armes à nouveau
Pour défendre… des mêmes bourreaux !
De la même lame, le pays versatile à son tour
égorgé…»
Quête nécessaire, tenace et familière : « Et on
perd sa trace»…
Pas de prénom parfois, ou des noms de code qui
effacent
Sur l’épitaphe indécise, l’âme de chair qui en
nous vibre
Encore, de lui.
Là est tombé, là a disparu,
Sans épopée, sans amante pour le lire, le dire
Et le publier, dans l’endure d’été qui languit et
abolit,
Un jeune homme inconnu
Un amoureux, un père peut-être, un fils,
sûrement, parti
Un soir d’hiver, sa musette sur le dos : « A
bientôt,
Mes camarades, mes amis » guérillero, comme
on dit
… Et qu’on n’a jamais revu.
Les corps ne portent pas les noms qui les
emportent
Et les fleurs déposées sont celles de tous les
champs…
Résistants, héros : des femmes, des hommes… aussi
Ils ne sont pas parfaits, comme dans les romans.
Ils ont combattu - on leur doit la vie, on l’oublie
souvent -
Et parfois en sont morts
- Et de quelle manière ! -
Ou blessés. Et souffrent toujours, corps
Rompus - fardeau persistant d’une vie entière,-
Qui, avec le temps, encore et encore
S’aggrave : la torture ne cesse pas avec le
bourreau
Mais avec la victime.
Des héros ? oui, faute d’un autre mot
Mais des femmes et des hommes, aussi.
Intimes.
L’un est, veut être, le meilleur,
Enfin presque. Et qu’on ne l’oublie !
[Mais sans honte, il avoue sa détresse, sa peur.
Et la raison… de son inébranlable
Courage : le coeur !] L’autre, infatigable travailleur
…
Fut aussi, dit-on, pour les petites mains,
redoutable,
-En somme, humain, ou plutôt masculin ! -
Une autre… a mauvais caractère ;
C’est ainsi, que faire ?
Une troisième fut et est parfaite, âme et corps,
Encore ! [Mais ses enfants ne sont pas tout à fait
d’accord :
Mère et héroïne font parfois une émulsion…
immiscible !]
Et une enfin, combattante légendaire, un peu
courbatue, cible,
Désabusée et amusée, les artistes expansifs et
puérils (?)
Qui imaginent et embellissent, fantasques ou
vains,
Et passent, et écrivent, et martèlent, roche et
clavier…
Implacables Tarasques… futile levain… (?)
Mais n’est-ce pas -presque- le seul moyen
De faire vivre, pour tous ceux qui ne sont plus - et
qui sont-,
Un passé soustrait ? De défier la mort et le déni
qui rôdent ?
Sans Goya, se souviendrait-on des horreurs de
Napoléon ?
Et de l’Espagne, sans Guernica ? Manipulations ?
Maraudes
De peintres, d’aèdes visionnaires… ou
doctrinaires ?
Il est vrai. Parfois, peut-être :
Comme l’Histoire, apprêtée à la sauce du maître,
Du maître du moment, toujours… Et un autre
encore,
Fils d’ouvrier espagnol, histrion truculent et
généreux
N’est pas… insensible !… aux breloques dont on
décore,
Confondus en un sac, héros véritables et pantins
en toc : jeu…
De rôles, revanche frivole… Du soir de la retirada
aux feux
Dérisoire des planches, ivresse joyeuse d’un
enfant empêché,
Et pourquoi pas, si tant cela lui plaît ?
La perfection ?
Mais la perfection est inhumaine et, pour tout dire,
Déréliction.
Hautaine :
En enfer, il n’y avait pas que des saints.
Il est bon qu’ils soient, pour le meilleur et le pire,
-Mais bien plus souvent le meilleur -
Comme nous, des êtres de sang, d’os et de
sueur…
Et même de haine : des êtres qui respirent !
A la fois poussière de lac et primordial viatique …
Pour les retenir, les transfuser peut-être, juste
retour des choses…
La perfection ? Un idéal - historique - et
romantique
Une comptine rose,
Rose bonbon.
Pour jeter sur des canons, des enfants ceints de
bandeaux.
La guerre inachevée
Premier Juin 2007 !
Répétition
Ca ne peut être un hasard… Gustau !
Ou c’en est un et je m’emporte encore ?
Les inscriptions,
Cette pierre percée, devant la porte
De ta tombe sereine…
Et hier ces minimes catastrophes
Parce que… non, pas parce que
Je ne sais pas, je n’ai pas le droit…
Mais le fait est.
Le fait est que je l’avais oubliée !
Je ne sais pas, non, mais ce fut…
Une panne, rien de sérieux…
Et puis cet épillet fiché
Dans ma gorge, qui m’étouffait…
Je sais, j’ai lu
J’y ai pensé soudain, en me penchant,
Les quelques mots laconiques
Du rapport des gardiens…
Quelque chose fiché, hélas,
Un os sans doute,
Dans ton palais :
Tu es mort étouffé.
J’ai encore un peu mal
- On me l’a ôté-
Et ça me fait du bien…
De penser que tu me dis
Peut-être, quelque chose.
Mais quoi ? Je m’emporte encore…
Sans doute. Mais ce fut.
Pourtant !
Anniversaire
Ce matin, c’est la fête. Au village.
Couleurs de marché, musique d’orage,
Gaie pourtant. Cris et chalands.
Joie de jeunes gens qui passent et repassent…
-Lentement-…
Surpris de se croiser…
Et du regard, s’enlacent
L’espace d’un instant,
A chaque tour augmenté…
Hâble invariable de l’amour et du hasard…
Abaque et amarre
Appontée. Les garçons au tir, tendus,
Dans la glace des baraques aux peluches dorées,
Et les belles, de soie légère étendues,
Nasse distraite aux terrasses blasées…
Jambes et seins haut croisés
Pourtant : des jambes publicitaires.
Et riant fort soudain :
Un heureux, un lauréat -un élu -…
(Principal ou secondaire)
Contemplant en face le temple hautain
Peut-être, n’a rien aperçu
Des deux…
Et s’étonne, et les rejoint
Heureux.
Ce matin à six heures, dans l’aube claire,
Gustave, avec Lucien, a été précipité dans le
puits de la mine…
Blessures de murs ou chanson après boire
Le tilleul immuable, -non, vénérable- :
Un ancêtre distant, hiératique
Qui de ses fleurs parfumées endormit
d’innombrables
Pratiques… Le destin. Baume
Familial, protecteur et altier
Témoin silencieux - et las - de la folie des
hommes,
Barbaries centenaires, comme lui
inachevées…
Et la maison engourdie, vide. Forteresse
De murs lourds et sommaires, d’écurie. Voûte
épaisse
… et la trace en leur sein d’un coup de feu raté.
Un combat ? Non. Une maladresse :
Un maquisard -le «matelot»- un peu éméché
Et joyeux, nettoyant son arme…
Chargée !
Branle bas d’alarme, fuite rapide.
Les murs ont étouffé le vacarme,
Et l’arbre factionnaire, impavide,
Branches déployées
Ondoyant sous la brise levée,
Enfermé la lumière des ombres…
Et les voisins appliqués, continué de dormir
Du sommeil des « Justes ».
Finale
Il serait si doux de pouvoir dire
Quelque chose à quelqu’un
Quelque chose qui étouffe et se livre
En vain peut-être, de si loin venu,
A tous ou à un seul, inconnu.
Il serait si doux de pouvoir deviner
-Même à peine susurré-
Un « je t’aime » ou « va en paix »
Mais… cela n’est pas… C’était avant.
Dégâts collatéraux
Ne pas exister… ne pas être,
Ou être, si l’on veut, mais empêché…
Sans droit ni loi : enquestre,
Sans balise ni regard : renié…
Solitaire…
Enfant de la guerre, comme on dit,
De la tragédie, de la haine,
Trop tôt né… et trop tard aussi…
Et pourtant… vivre tout de même…
Ou faire semblant, puisqu’il le faut,
Transparent : d’autres en profitent,
Et le cercle enfin est bouclé : l’eau,
Lisse et glauque, en silence, ingurgite,
Indifférente, le petit galet
Un si bref instant suspendu,
Qui, lentement coule, inachevé.
Sans auréole : abattu
Sans combat. Et indemne pourtant
Qui, abîmé, enfoui, attend.
Epilogue
La fin de la nuit
Et c’est la fin de ce voyage,
Dans l’espace et le temps consort,
L’un entraînant l’autre, sur le rivage
Accosté : la paix… L’oubli et la mort
Duels vaincus ? Non : un puzzle emboîté
Dont nous sommes faits sans le savoir,
Réponds attendu d’un passé de bure,
D’un grand soir inconnu d’aventures
Qui en chacun et en tous, matin et soir
A l’envi d’une vie lente et dérisoire
Vibrent et forgent sans le dire jamais
Une histoire… et l’Histoire,
Grains à grains, d’airain et d’iris,
Salle de bal et puits de mine.
Pixellisée. Sédimentée.
Dure et belle, terrifiante et sublime
Et nous ont, et permis,
-Particules infimes et infinies-
Et empêché à la fois, d’exister.
« Tout s’écoule » et l’histoire est un éternel
retour. (Héraclite.)
* Note de la p 2 et 28 (sur Jeanne Boyer).
Jeanne, à 90 ans, s’occupe toujours, avec sa fille Jeanine Boyer-Rousseau d’un foyer d’hébergement d’urgence dans un secteur difficile d’Alès, foyer actuellement pris entre les feux croisés de jeunes délinquants du quartier -qui l’ont récemment incendié- et certaines administrations souhaitant le voir fermer et qui d’ores et déjà lui ont retiré les subventions sans lesquels il ne pourra subsister longtemps. D’autres en revanche, (la CAF), le soutiennent : il recueille, prend en charge et remet sur le chemin de l’existence des gens que la vie (et, lorsqu’il s’agit d’étrangers, souvent, laguerre) a abîmés, qui sont parfois à la rue, et qui, à bout, pourraient dériver. Il rend donc service à tous. Ces tracas infinis l’occupent entièrement. Des lettres, bouleversantes, de résidents (kosovars réfugiés, femmes avec enfants ou adolescents en situation de grande précarité etc…) adressées à la Mairie seront ultérieurement publiées par HBL. Un très jeune homme, par exemple, écrit sobrement : « depuis que je suis au foyer, je ne fume plus et ne vole plus… » ! Mais la plus courte et la plus signifiante des suppliques provient d’une jeune fille en fuite qui dit simplement ceci : « sans le foyer, je serais morte… Ne le fermez pas s’il vous plaît.» Oui : la résistance continue et le temps présent est toujours celui du combat, pour Jeanne comme pour la plupart de celles et ceux cités ici. Soixante ans après, les luttes se ressemblent … et les combattant/es sont les mêmes !
Fait à Saint Ambroix, le 1/1/2998, Hélène Larrivé